Madame Bovary, Gustave Flaubert

Episode 2 | S'échapper ou se perdre avec les romans

Gaspacho de culture
8 min ⋅ 23/12/2022

Roman de l'illustre Gustave Flaubert, Madame Bovary. Moeurs de province (titre complet) paraît en 1857 pour bousculer son temps et marquer d'un sceau indéfectible l'histoire littéraire française.

Et aussi, un petit peu, pour traumatiser tous les lycéens qui s'y sont confrontés.

Quand tu te rends compte que les recettes de Madame Bovary ne te permettront pas de payer le procès qui s'en est suivi. Quand tu te rends compte que les recettes de Madame Bovary ne te permettront pas de payer le procès qui s'en est suivi.


L’Histoire

NORMANDIE, QUELQUE PART AU MILIEU DU XIXÈME

 

Don Quichotte sauce normande

Malgré ses airs évaporés, Emma pourtant ne paraissait pas joyeuse, et, d'habitude, elle gardait aux coins de la bouche cette immobile contraction qui plisse la figure des vieilles filles et celle des ambitieux déchus. Elle était pâle partout, blanche comme du linge ; la peau du nez se tirait vers les narines, ses yeux vous regardaient d'une manière vague. Pour s'être découvert trois cheveux gris sur les tempes, elle parla beaucoup de sa vieillesse.

L'histoire ne commence pas avec madame éponyme (qui ?). Non. Elle commence avec celui qui va devenir son mari, Charles. Charles Bovary. Médiocre personnage, qui malgré de besogneuses heures passées à vouloir réussir ses études de médecine, ne parvient qu'à devenir officier de santé.

Cette activité contribuera malgré tout à bouleverser sa vie : en visite chez Théodore Rouault, fermier ni riche, ni franchement pauvre, il rencontre Emma et ses manières raffinées. Emma, dont il tombe rapidement amoureux et dont il obtiendra la main. Emma, qui a été élevée dans un Couvent, où, malgré la rigueur que l'on sait, elle a fait la connaissance d'un univers merveilleux, qui a oeuvré à façonner la vie rêvée qu'elle se figure : les romans.

Au départ, Emma est enchantée à l'idée d'épouser Charles. Elle compte trouver dans cette nouvelle vie tous ses espoirs, elle imagine dans la bourgeoisie qui l'attend le romantisme qui transpirait des romans qui ont fait battre son coeur, elle voit déjà les mondanités, les conversations passionnantes, les rencontres inoubliables.

Rien ne se passe.

Enfin, presque rien. Un bal mondain se charge de raviver ce feu de vie exceptionnelle qu'elle s'imagine. Mais, après tout, un bal ne dure qu'un soirée. Et à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne (ah non ça c'est un autre sujet). À la fin, le carrosse se transforme en citrouille, le prince charmant en bourgeois ennuyeux, le rêve en réalité.

Des désirs qui nous affligent

Pour ne pas avoir la nuit auprès d'elle, cet homme étendu qui dormait, elle finit, à force de grimaces, par le reléguer au second étage ; et elle lisait jusqu'au matin des livres extravagants où il y avait des tableaux orgiaques avec des situations sanglantes. Souvent une terreur la prenait, elle poussait un cri, Charles accourait.

- Ah ! va-t'en ! disait-elle.

Et avec le désenchantement, viennent s'accumuler les erreurs.

Emma se laisse berner, aussi bien par les hommes que par les vendeurs de tapis (le type en question vend vraiment des tapis).

Par Rodolphe d'abord, son premier amant. Châtelain au tempérament brutal et à l'intelligence perspicace, il vient bouleverser le quotidien d'Emma après l'avoir séduite pendant les comices agricoles (c'est une sorte de Salon de l'agriculture, version XIXème siècle, et sans les dégustations de vins de France qui vous font passer une très bonne journée ; ou encore le Salon du boeuf, qui se tient tous les deux ans à Lutèce - grosse, grosse manifestation) - c'est dire le glamour. Amour quasi-salvateur, elle s'éprend passionnément de Rodolphe, jusqu'à former le projet de tout quitter pour fuir avec lui. Elle y croit, mais il n'ira pas au bout. Le jour de leur prétendu départ, alors qu'elle l'attend, il lui fait remettre une lettre de rupture.

A noter, que le lecteur découvre la lettre de rupture non pas dans les mains d'Emma, mais sous la plume de Rodolphe. Une scène odieuse pendant laquelle le goujat met tout ce qu'il a de plus faussement fleur bleue au service du triste destin d'Emma, qui va être quittée, jusqu'à déposer une goutte d'eau sur le papier pour faire croire à une larme.

ll relut sa lettre. Elle lui parut bonne.

- Pauvre petite femme ! pensa-t-il avec attendrissement. Elle va me croire plus insensible qu'un roc ; il eût fallu quelques larmes là-dessus ; mais moi, je ne peux pas pleurer ; ce n'est pas ma faute.

On peut rapprocher ce passage d'une autre rupture majeure de la littérature française : la lettre par laquelle Valmont quitte Madame de Tourvel dans Les Liaisons Dangereuses. Valmont utilise "Ce n'est pas ma faute" en épiphore. L'affreux le répétera à huit reprises pour se défaire de la culpabilité de la rupture. Si vous avez un peu la flemme de lire le livre, regardez le film avec Glenn Close, John Malkovitch et à peu près tout ce qui se faisait de mieux en termes d'acteurs américains à la fin des années 1980, il reprend assez complètement le fameux passage du "Ce n'est pas ma faute". Il y a aussi Alizée et Jul, mais le lien littéraire est moins évident.

Bref, Emma se fait larguer.

Et là, c'est vraiment le début de la fin. Plus rien ne peut la sauver du désespoir et de la dépression dans lesquels elle erre. Même pas sa fille Berthe. Déjà, elle aurait préféré un garçon, voué à un destin grandiose, plutôt qu'une fille, qu'elle trouve laide, et qui finira très certainement comme elle, malheureuse. Elle ne réussit jamais à développer le moindre sentiment positif à l'égard de ce petit être qu'elle a conçu.

J't'expliquerai c'est à cause de l'argent

Elle poursuit sa descente aux enfers en dépensant tout l'argent qu'elle n'a pas dans des étoffes immensément coûteuses, des décorations dont elle n'a pas besoin, des souliers, des chapeaux et - l'histoire ne le dit pas - mais Shatan & Fosco ne seraient pas étonnés qu'elle se soit aussi payé un iPhone 14 pro pour regarder, sur Instagram, les photos de la vie trop incroyable des bourgeoises parisiennes de son temps.

Parce que se sur-endetter, elle et son mari, ne suffit pas, elle se laissera encore séduire par un autre jeune homme - Léon - clerc de notaire sur lequel elle avait déjà eu un crush il y a un moment de cela, mais qui avait du s'en aller à Paris pour étudier le droit. À son retour, pour vous la faire courte, elle swipe right et elle continue ses aventures adultérines avec le jeune Léon. C'est ici qu'il faut évidemment mentionner la scène la plus érotique du roman, qui a du largement contribuer à ce que son auteur soit traîné devant la justice pour outrage aux bonnes moeurs : la scène de sexe dans le fiacre (#JeSuisLeFiacre). On vous laissera vous faire votre idée.

 La chute

Elle fut stoïque, le lendemain, lorsque le maître Hareng, l'huissier, avec deux témoins, se présenta chez elle pour faire le procès-verbal de la saisie.

Tout va plutôt mal dans la vie d'Emma. Et cela s'empire quand Lheureux, le mal-nommé commerçant qui l'a poussée dans sa fièvre acheteuse, vient réclamer son dû. Emma est désemparée. Elle n'a aucun moyen de payer, son mari non plus, on va leur saisir leurs biens. Elle va implorer ses deux amants de l'aider. Ils lui opposent un refus. Elle est sans refuge, sans aucune solution. Si ce n'est une : se donner la mort. Elle s'empoisonne à l'arsenic. Et même son agonie sera tout ce qu'il y a de moins romanesque, puisqu'elle mourra dans des conditions répugnantes.

Charles, son mari, se laissera mourir de chagrin, criblée de dettes.

Berthe, cette enfant mal-aimée de sa mère, finira orpheline, pauvre et malheureuse.

Voilà ce qu'il reste des rêves de grandes heures d'Emma Bovary.


La cerise sur le McDo

Gustave Flaubert a fondé toute son oeuvre autour de son obsession pour le grotesque et de sa grande faculté à s'insupporter de tout et de tous. Il prend un malin plaisir à rendre ses personnages détestables, à se moquer des esprits un peu étroits. Et ça ne manque pas ici. Tous les personnages qui forment le quotidien d'Emma sont vieux, inintéressants, insupportables. Ils sont un concentré de bêtise, de suffisance et d'autosatisfaction, qui le rend détestables et qui forcent ainsi la compassion du lecteur à l'égard de Emma Bovary.

Quelques années plus tard paraît La Ronde, d'Arthur Schnitzler, une pièce de théâtre dont on s'est refilé le texte sous le manteau car elle outrageait les bonnes moeurs (tiens, tiens...). L'un des personnages, Emma, s'ennuie avec son mari comme nous devant la dernière saison de Dexter (elle était VRAIMENT de trop) ; et se console au lit avec un jeune homme qui la manipule (coïncidence ?).


L'anecdote

Devinette : L'oncle de l'un des deux rédacteurs de cette newsletter a joué dans l'adaptation cinématographique par Claude Chabrol de Madame Bovary (avec Isabelle Huppert dans le rôle d'Emma).

Indice : C'est celui des deux qui chausse du 45.


Le sens ?

Ce roman est une leçon sur les romans, justement.

Sur leur pouvoir bénéfique comme dévastateur, celui de modeler chez les lecteurs une imagination débordante et des projets de vie merveilleux, celui de les conduire à leur perte en passant une vie à attendre ce qui n'existe pas, à se prétendre guerrier tandis qu'on ne combat que des moulins.


Bonus

Parce que les bourgeoises s'ennuient toujours en 2022, Shatan & Fosco vous invitent à lire Feu de Maria Pourchet, qui reprend grosso modo les thématiques de Madame Bovary, mais avec les échanges de textos en prime.

Gaspacho de culture

Par Alexandre Galien, pour Shatan & Fosco